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Patrimoine

Les mots arabes en français : quand les arabismes infiltrent la langue de Molière

L’arabe est la troisième des langues, après l’italien et l’anglais, dans lesquelles le français a puisé : environ 400 entrées dans le dictionnaire, dont une centaine employées quotidiennement. C’est davantage que le lexique hérité de lointains ancêtres ; les Gaulois ! Des mots arabes en français ? Comment est-ce possible avec leurs systèmes d’écriture radicalement différents ? Quels sont les mots français d’origine arabe les plus utilisés? Cette influence coule-t-elle toujours de source ? Découvrez une histoire digne des Mille et Une Nuits !

Petite chronologie des mots arabes en français : un héritage insoupçonné de l’histoire

Certains vous paraîtront évidents comme babouche, sarouel ou hammam. Mais si vous kiffez le sorbet à l’orange, que vous buvez votre café sans sucre et que vous achetez aubergines, abricots et épinards au magasin, vous utilisez des arabismes tous les jours. C’est-à-dire, des mots issues de l’arabe et qui ont voyagé jusqu’à leurs formes actuelles en français.

Ce voyage commence très tôt, durant les croisades, ces pèlerinages de chrétiens armés vers la terre sainte pour libérer le tombeau du Christ. Au-delà des conflits, les croisades ont contribué aux mélanges entre les populations, les cultures et les langues du Moyen-Orient et d’Europe.

Du VIIIe au XVe siècle, l’empire arabe s’est étendu jusqu’au Maghreb, notamment avec la conquête de l’Espagne et la création d’Al-Andalus. En France, les Arabes sont historiquement stoppés à Poitiers en 732 par Charles Martel. La Reconquista dès 1492 sonnera le glas de cet âge d’or de la civilisation musulmane.

Cette expansion n’a pas seulement été d’ordre militaire. Elle a contribué au rayonnement de la culture et de la langue arabes, grâce aux échanges commerciaux et culturels. Les universités fleurissent, les arts et les sciences participent à ces partages entre les différents peuples.

Au XIXe siècle, la conquête coloniale française en Algérie laisse des traces dans le dialecte arabe du Maghreb et réciproquement, l’arabe dans le français. Plus récemment, le rap et le langage des banlieues ont permis à de nouveaux arabismes de s’immiscer dans la français.

« La langue arabe est là et n’a pas eu besoin de visa pour entrer dans la langue française »,
Tahar Ben Jelloun, La Grande Librairie, 14 avril 2017.

La nourriture du corps : les arabismes dans la gastronomie

Les mille et une saveurs d’orient parsèment allégrement l’idiome français de truculence et gourmandise : taboulé, kebab, hoummous, merguez, méchoui, etc. Parfaitement assimilés dans la langue française, ils restent sans aucun doute des mots arabes. D’autres ont pris le temps de dériver avant d’être absorbés.

Commençons par un aliment dont la rondeur n’a d’égale que sa douceur. Depuis le grec praekokhion, le mot a voyagé dans les pays arabes pour devenir al-barquq, le « fruit précoce ». La conquête arabe jusqu’en Espagne a permis l’apparition de l’espagnol albaricoque avant de traverser la frontière pour évoluer en l’abricot que nous connaissons. Un autre fruit a subi des tribulations similaires, de narandj en arabe, il est passé dans l’espagnol naranja puis a été intégré dans la langue française comme l’orange.

Et le fameux petit kawa à avaler encore chaud et serré ? Directement rapporté par les soldats français, au retour de la colonisation de l’Algérie. D’ailleurs, le mot café vient de l’italien caffe, copié au turc qahve, et lui-même de l’arabe qahwa. Le sucre, de l’italien zucchero, est issu de l’arabe sukkar, et le sorbet est emprunté à l’arabe sharbet.

L’épinard, ce légume vert boudé injustement par les enfants, voit son origine de l’arabe isbinakh. L’artichaut a hérité de l’italien articiocco, et lui-même de l’arabe ardhischoki, « terrestre épineux ». Nombreux ont été les échanges commerciaux entre les villes italiennes et les ports arabes durant l’histoire.

Défense et réconfort : le vocabulaire militaire et textile

Aux échecs, la formule « Échec et mat » est appliquée quand le roi est pris, mettant fin à la partie. Celle-ci vient de l’arabe : al-sayh mat, « le roi est mort ».

L’amiral a une étymologie particulièrement poétique et qui a gardé tout son sens : amir al-bahr, « le prince de la mer ». L’arsenal provient de dar-essanah, une maison commerciale destinée à la fabrication navale. Le nabab, ancien titre militaire en arabe, a aujourd’hui une autre signification de nos jours puisqu’il évoque quelqu’un de prodigieusement riche.

La jupe a évolué depuis l’italien guibba lui-même emprunté à l’arabe djubba, « pelisse courte ». Il a d’ailleurs remplacé le mot utilisé au moyen âge ; le cotillon. Le coton nous vient d’al-quṭn, via l’italien cotone, et prouve que les Arabes ont très tôt maîtrisé son utilisation avant de l’apporter en Europe. Magasin découle de makhāzin, le « dépôt de marchandises ».

Sofa a simplement perdu un F et désignait à l’origine une estrade surélevée, couverte de tapis et coussins, sur laquelle un dignitaire s’installait. Matelas provient de l’italien materasso, grâce à l’arabe matrah qui était auparavant une manière de se coucher, à même le sol.

Et la fameuse bougie que l’on allume pour agrémenter une ambiance ? Bougie était l’ancienne ville de Béjaïa, en Algérie, sous la colonisation française, connue justement pour sa production de chandelles.

Élévation de l’esprit : le lexique des sciences

C’est dans le domaine des sciences que cette influence est la plus perceptible. Toubib a gardé la sonorité de son origine, tabib, « le médecin ». Hasard résulte de l’arabe az-zahr, « jeu de dés ». À l’origine, en français, il prend le même sens avant d’évoquer plus généralement tous les jeux aléatoires.

L’importation du système numéraire arabe en Europe grâce à Al-Andalus, a attribué le sens que l’on connaît à chiffre. Or, zéro a une origine étymologique identique puisqu’il est désigné par les Arabes avec sifr, « le vide », via l’italien zefiro qui a ensuite été contracté en zéro.

Al-kimia, « l’art de fabriquer l’or et purifier son cœur », a donné l’alchimie et la chimie. Dans le même domaine, l’amalgame est dérivé d’amal al-djamal, « fusion ou union charnelle ». Azur a parcouru du chemin depuis lazaward, le lapis-lazuli, cette pierre au bleu obsédant.

Al-djabr, « la réduction », est à l’origine de l’algèbre. Algorithmes est l’héritage linguistique d’un mathématicien arabe, Al-Khwarizmi, qui les a longuement étudiées. Zénith et azimut sont tous les deux des lectures déformées de semt, « chemin droit au-dessus de la tête ».

Charabia proviendrait d’al-arabiya, l’arabe, et qui sonnait comme des sons incompréhensibles aux oreilles ignorantes.

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Les mots français d’origine arabe : une tendance renouvelée

Vous kiffez la vie, mais certaines choses vous mettent le seum ? Le langage de la banlieue et celui diffusé par le rap français ont popularisé certains de ces termes d’argot.

Le kif, en arabe, c’est un sentiment de plaisir saisi dans l’instant présent. Sans doute en lien avec l’état agréable procuré par le haschich, c’est là son origine. Celui-ci a évolué jusqu’à donner le verbe kiffer : apprécier pleinement, et l’expression kif-kif pour parler d’une situation similaire.

Le seum, « le poison » ou « le venin » en arabe, fait écho au ressentiment et à la jalousie éprouvés par les jeunes et popularisés par le rap. Le chouf, le guetteur chargé d’alerter le dealeur, vient du même mot en arabe qui signifie « regarder ».

Miskin, « le pauvre », désigne quelqu’un qui suscite de la pitié. Le blédard, c’était le soldat qui défendait son village, et maintenant il s’agit de la personne, représentée naïvement, débarquée de sa province. Dawa, « désordre » en arabe, est employé d’une manière similaire en français familier.

Maboul, « fou » en arabe, a été joliment intégré dans la langue française grâce à la chanson de Léo Ferré, en 1960 :

T’es toute nue sous ton pull
Y a la rue qu’est maboule, jolie môme

Certains de ces termes familiers entreront officiellement dans le dictionnaire pour faire prospérer davantage la langue tandis que d’autres resteront cantonnés au domaine de l’argot.

Les mots voyagent et évoluent constamment dans un cycle de création et de renouveau. C’est de cette aventure et de ses sonorités colorées que vient la richesse culturelle de la langue française. Les mots arabes dans le français, c’est le témoignage perpétuel de ces échanges ancestraux.

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Rabab Chenanfa, pour Oumma Up !

Sources

Dictionnaires
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/
https://www.littre.org/

Vidéo

https://www.youtube.com/watch?v=mfibl2KDYNs

Articles

https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/expressions-francaises/2018/07/30/37003-20180730ARTFIG00012-ces-mots-d-arabe-que-vous-prononcez-sans-le-savoir.php

https://dictionnaire.lerobert.com/dis-moi-robert/raconte-moi-robert/top-10-mots-plus-etonnants/top-10-des-mots-qui-viennent-de-l-arabe.html

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